Réforme des retraites : que craignent les professions libérales

Projet de réforme des retraites Macron 2019 : que craignent les professions libérales ?

La manifestation du 16 septembre 2019 qui a regroupé un certain nombre de représentants de professions libérales (avocats, médecins, infirmiers, pilotes, etc.)  illustre les inquiétudes de ces professions sur la réforme des retraites. Que
craignent-elles des propositions du rapport Delevoye ? Ces craintes sont-elles justifiées ? Alors qu’une nouvelle phase de concertation avec les partenaires sociaux est prévue à la rentrée, faisons le point dans cet article.

A noter : les mesures présentées dans cet article sont issues du rapport Delevoye. Le projet de loi n'en a retenu que certaines qui sont susceptibles d'être modifiées d'ici à l'adoption définitive de la loi. Découvrez les dernières nouveautés sur les régimes de retraite des professions libérales dans notre article "Réforme des retraites : les grandes lignes du projet".

Un système de retraite moins généreux ?

Ce que craignent les professions libérales

La hausse des cotisationsCotisation retraite<p>Somme prélevée sur les salaires et/ou les revenus professionnels afin de financer les retraites.</p> et la diminution des pensionsPension de retraite<p>Somme versée périodiquement à un assuré après la liquidation de sa retraite, après cessation totale ou partielle de l'activité professionnelle.</p> sont les 2 principales craintes exprimées par les représentants de certaines professions libérales.

Celles-ci font notamment l’objet d’une tribune publiée au Monde par les avocats. Elle y fait valoir que le régime des avocats est excédentaire, avec 70 000 cotisants pour 15 000 bénéficiaires, et reverse en moyenne plus de 1 200 € par avocat (pension de retraite + pension de réversion). Une situation favorable qui disparaîtrait dans le système universel.

Ces craintes sont-elles justifiées ?

Aujourd’hui, oui. Demain, peut-être non.

Le régime de retraite des avocats – et de la plupart des professions libérales qui protestent contre la réforme – sont des régimes qui peuvent aujourd’hui se permettre d’être généreux grâce à une démographie favorable. La plupart de ces professions regroupent une population plutôt jeune (donc plus d’actifs pour financer moins de retraités). Dans le système universel, c’est l’ensemble de la population – comprenant en proportion plus de retraités et moins d’actifs – qu’il faudra prendre en compte, ce qui amènera un système moins généreux.

Mais si la situation venait à s’inverser, avec une démographie des professions libérales inférieure à la moyenne de la population (plus de retraités et moins d’actifs), alors le système universel deviendrait plus favorable pour elles.

Supposons, par exemple, que de nombreux médecins partent à la retraite. Aujourd’hui, pour équilibrer les finances, la caisse des médecins (CARMF) serait forcée d’augmenter drastiquement les cotisations ou de diminuer les pensions. Demain, dans un système universel, un afflux de retraités médecins pèsera peu dans la population globale, et il n’y aura pas (ou presque pas) besoin d’ajuster le montant des cotisations et des pensions.

Une mainmise sur les réserves ?

Ce que craignent les professions libérales

« La Cigale, ayant chanté tout l'été, se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue… » Jean de la Fontaine exprime en une phrase les craintes des professions libérales. Celles-ci sont claires : elles ne veulent pas payer pour les régimes qui ont creusé les déficits.

En effet, la plupart des caisses de retraite Caisse de retraite<p>Organisme gérant un ou plusieurs régimes de retraite, de base ou complémentaire, qui perçoit des cotisations des actifs et en reverse le produit sous forme de pensions aux retraités.</p>des professions libérales ont accumulé des réserves financières. Elles voient d’un mauvais œil leur absorption au sein du « pot commun » du service universel qui servirait à « payer la facture » d’autres régimes de retraite ayant accumulé les déficits.

Si le rapport Delevoye assure une mise en commun uniquement partielle des réserves, cela ne suffit pas à rassurer Michel Picon, le président de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL), qui explique : « on nous dit que les sommes en jeu – 27 milliards d’euros – ne seront pas toutes captées par le futur système universel, mais il subsiste encore beaucoup de flou ».

Ces craintes sont-elles justifiées ?

Oui, mais elles sont à nuancer.

Le rapport Delevoye préconise une intégration financière du régime à l’horizon du 1 er janvier 2025, avec la mise en place d’un Fonds de réserve universel.

Nous retrouvons le même enjeu que pour la « générosité » actuelle de la retraite des professions libérales. Disposant d’une démographie favorable (plus de cotisations collectées, moins de pension payées), ces caisses produisent aujourd’hui des excédents qui profiteront demain à tous. Mais si la situation se détériore, ces professions pourront profiter du Fonds au lieu d’avoir à augmenter leurs cotisations ou diminuer leurs pensions.

Qu’en sera-t-il des réserves financières résultant d’une augmentation des cotisations (comme chez les avocats) ? Le rapport Delevoye précise que « seule la part des réserves rigoureusement nécessaire à la couverture des engagements sera transférée ». Le reste des réserves pourra être redistribuée vers les adhérents aux caisses concernées. Une manière pour ces professions d’être récompensées pour leurs efforts.

Une perte d’autonomie ?

Ce que craignent les professions libérales

Certaines professions libérales souhaitent pouvoir conserver des règles spécifiques. Or, elles craignent ne pas pouvoir bénéficier de dérogations, ni d’avoir assez d’influence pour en changer les paramètres dans un système universel. Par exemple, le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) – la principale organisation du secteur – souhaite garantir un départ à la retraite à 60 ans, quitte à payer plus de cotisations. Une demande qui peut être défendue auprès de leur caisse de retraite, mais qui serait plus difficile à porter au sein d’un système universel.

Avec l’assimilation de leurs caisses et leurs personnels, les professions libérales craignent également de perdre « leurs » interlocuteurs, qui comprennent les spécificités de leur profession et de leur régime de retraite.

Ces craintes sont-elles justifiées ?

Oui mais elles sont à nuancer.

Les paramètres des retraites (taux de cotisation, valeur du pointPoint de retraite<p>Les cotisations d'un assuré lui permettent d'acquérir des points retraite dans certains régimes, comme le régime complémentaire Agirc-Arrco. Le montant de sa retraite est égal au total des points acquis pendant sa vie professionnelle, multipliée par la valeur du point lors de son départ en retraite.</p>, etc.), qui sont aujourd’hui fixés par les différentes caisses de retraite chacune de leur côté, le seront demain par le système unifié. Le but du système est de créer les mêmes règles pour tous, avec les mêmes possibilités de départ anticipé.

Dans le système universel, il y aura un guichet unique et un système de recouvrement unique qui permettra de faire des économies de fonctionnement et de simplifier les démarches des entreprises et des assurés.

Pour apaiser les craintes des professions libérales, le rapport Delevoye promet qu’« un conseil de la protection sociale des professions libérales sera créé pour consolider la gouvernance de ces populations. Elle organisera la représentation de ces professions au sein du système universel. » Ce conseil devrait leur permettre de disposer de « spécificités » et de « guichets » propres. Des adaptations ne sont donc pas exclues.

Va-t-il y avoir des dysfonctionnements techniques ?

Ce que craignent les professions libérales

« On ne peut pas accélérer le processus sans tenir compte qu’il existe 10 caisses différentes avec des modes de calcul très variés », craint Marie-Anne François, présidente de la Carpimko (infirmiers et kinésithérapeutes) qui demande une étude d’impact avant d’engager la fusion prévue.

La plupart des professions libérales qui craignent la réforme des retraites ont en tête le précédent du Régime social des indépendants (RSI). Liquidations fantaisistes, bugs à répétition sur le calcul des cotisations et des prestations… sa mise en œuvre fut un tel fiasco qu’en 2017 tous les candidats à la présidentielle avaient promis de le supprimer (ce qui fut le cas le 1er janvier 2018).

Ces craintes sont-elles justifiées ?

Espérons que non.

Il est peu probable qu’une réforme qui ambitionne de refondre tout un pan de la protection sociale se passe sans accroc. Mais le calendrier de la réforme mise sur le temps long : adoption de la réforme en 2020, mise en œuvre en 2025, puis période de transition (que le rapport Delevoye propose d’une durée de 15 ans). Seul le temps le dira, mais cette longue période de transition devrait permettre de résoudre les dysfonctionnements sans trop affecter la situation des personnes concernées.

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